Y a-t-il vraiment eu quatre fois moins d’accidents du travail sur les chantiers des JO que sur des chantiers comparables

LA VÉRIFICATION – Le coprésident du Comité de suivi de la charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Bernard Thibaut, a affirmé que les 25,8 millions d’heures de travail accomplies depuis 2017 avaient donné lieu à «181 accidents, une trentaine d’accidents graves et aucun accident mortel»

Village olympique et centre aquatique à Saint-Denis, Arena Adidas à la Chapelle… Ces infrastructures, qui accueillent les épreuves tout au long des Jeux Olympiques et Paralympiques avant de profiter aux Franciliens, ont nécessité six années de travaux. Six années durant lesquelles 30.000 salariés ont œuvré sur les différents chantiers liés à la compétition. À l’arrivée, le bilan est plutôt positif en termes de réalisations, puisque la quasi-totalité des délais ont été tenus. En termes de sécurité, aussi, à en croire Bernard Thibault, coprésident du Comité de suivi de la charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Invité sur France Info ce matin, l’ancien secrétaire général de la CGT a assuré qu’il y a «eu quatre fois moins d’accidents du travail sur les chantiers JO» que les autres chantiers tricolores, au regard du «nombre d’heures travaillées». Mais est-ce vraiment le cas ? Le Figaro fait le point. 

À l’occasion des Jeux, soixante-dix ouvrages et aménagements pérennes ont été engagés dans l’ensemble de la France. La supervision de ces réalisations a été confiée à la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO). Selon l’estimation de l’Insee, ces 70 chantiers ont totalisé 25,8 millions d’heures de travail accomplies depuis 2017 pour réaliser dans les temps le programme de livraison des ouvrages olympiques. Ce chiffre ne prenant en compte que l’emploi de «première ligne» c’est-à-dire directement généré par les JO et non l’emploi des «lignes arrières», créé par la demande d’intrants aux secteurs d’approvisionnement en aval par les commanditaires des projets d’infrastructure (25,8 millions d’heures de travail). 

Sur France Info ce matin, Bernard Thibaut a affirmé que ces millions d’heures de travail avaient donné lieu à «181 accidents, une trentaine d’accidents graves et aucun accident mortel». Ce bilan est effectivement significativement modéré au regard du taux de fréquence des accidents du travail constatés par l’Insee en 2019, dernière année pour laquelle des données statistiques sont disponibles. Cette année-là, la France a enregistré, tous secteurs d’activité confondus, 20,4 accidents du travail par millions d’heures travaillées chaque année. 

Un bilan qui peut être qualifié d’exemplaire

Si la sinistralité des chantiers JO avait suivi le taux de fréquence des AT tricolores, le nombre d’accident aurait atteint… 526 accidents. Avec 181 accidents recensés, les chantiers JO ont engendré près de trois fois moins d’accidents au regard du nombre d’heures travaillées que la moyenne des chantiers hexagonaux. Si l’on considère le taux de fréquences des accidents du travail observés dans le secteur de la construction spécifiquement (33), le bilan est bien celui avancé par Bernard Thibault. Le nombre d’accident, s’il avait suivi le taux de fréquence des AT tricolores du BTP, aurait culminé à 851. Soit quatre fois plus que le bilan affiché par les chantiers JO.

Le constat est le même si l’on privilégie le ratio accidents du travail/nombre de salariés mobilisés. Là encore, la sinistralité des chantiers JO semble limitée puisque la fréquence des accidents du travail tricolores avoisine 32 accidents par an pour 1000 salariés. En six ans, 189 accidents ont été recensés sur les chantiers JO, pour 30.000 salariés impliqués, ce qui équivaut à un ratio de 6.3 accidents pour 1.000 salariés.

Les chantiers des JO peuvent ainsi être qualifiés d’exemplaire, d’autant que la France est connue pour être mauvaise élève en matière de sinistralité au travail. En mars dernier, le Premier ministre Gabriel Attal avait marqué les esprits Gabriel Attal en évoquant les «accidents du travail » qui tuent «deux» travailleurs par jour en France. «On a trop d’accidents au travail, trop de Français qui meurent au travail», avait-il déclaré. En 2022, les derniers statistiques de l’Assurance-maladie avaient fait état de plus de 564.000 accidents du travail, parmi lesquels 738 mortels. Ce chiffre, qui correspond bien à deux décès par jour en moyenne, était en hausse de 14% sur un an. Et il n’inclut pas les accidents de trajet, à l’origine de 286 décès en 2022. Selon le classement établi par Eurostat en 2021, la France apparaît ainsi comme le quatrième pays le plus touché par la mort au travail, derrière la Lettonie, la Lituanie et Malte.

Le chantier du Grand Paris Express plus meurtrier que celui des J.O

Le bilan des chantiers JO contraste aussi avec celui affiché par le Grand Paris Express, qui sur la même période, a entraîné la mort de cinq travailleurs, ainsi que de nombreux accidents graves depuis le début des travaux en 2015. Dans un rapport alarmant rédigé en 2024, la Cour des comptes note qu’entre juin 2022 et juin 2023, «115 accidents sans arrêt et 205 accidents avec arrêts ont été comptabilisés sur plus de 13 millions d’heures travaillées, soit un taux de fréquence de 17,91 et un taux de gravité de 0,46». Des chiffres en phase avec les taux de fréquence observés dans le secteur de la construction, mais préoccupant compte tenu du fait «que plus de la moitié des heures de travail sur les chantiers restent à effectuer». Pour les Sages de la rue Cambon, la Société du Grand Paris, donneuse d’ordre et donc responsable en matière de sécurité a fait preuve d’un «déficit de contrôle des obligations de sécurité mises en œuvre par les entreprises et les sous-traitants».

À l’inverse, Bernard Thibault assure que les résultats encourageants en matière d’accidentologie sur les chantiers JO ont été obtenus en imposant aux groupes du BTP des règles et des contrôles plus stricts que ce que prévoit le Code du travail. Dans le détail, les mastodontes de la construction (Bouygues, Vinci, Eiffage), qui chapeautent la réalisation des chantiers mais sous-traitent massivement, ont été tenus responsables des conditions de travail de l’ensemble des salariés impliqués, y compris ceux qui ne dépendent pas directement d’eux mais de leurs entreprises sous-traitantes. Pour coprésident du Comité de suivi de la charte sociale des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, l’efficacité de cette stratégie montre qu’au-delà des JO, «on peut travailler autrement sur les chantiers du bâtiment en France et faire reculer le nombre d’accidents»

Seule ombre au tableau, le décès d’un salarié d’une société prestataire de la Ville de Paris décédé en juin 2023 sur le chantier du bassin d’Austerlitz, destiné à dépolluer le fleuve pour les JO. Tout en déplorant ce décès, Bernard Thibault a argué dans les colonnes de Libération que «juridiquement» ce chantier ne faisait pas partie des chantiers dits «JO». «Certes, ce sont des travaux commandés par la ville de Paris pour participer à la baignabilité de la Seine en vue des Jeux, mais notre périmètre d’intervention n’intégrant pas ces travaux, il n’y a pas eu les mêmes dispositions de sécurité que les nôtres», a-t-il étayé. Aux yeux du syndicaliste, la même logique s’applique en ce qui concerne le décès d’un jeune travailleur sur le chantier du prolongement de la ligne 11, en avril 2023.

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