Cette newsletter présente sept décisions de jurisprudence rendues au cours des derniers mois :
- Télétravail sur recommandation du médecin du travail : l’indemnité d’occupation du domicile est due (CA Paris, 21 décembre 2023, n°20/05912)
Un salarié, qui télétravaillait depuis son domicile sur recommandation du médecin du travail, est licencié et réclame le paiement d’une indemnité d’occupation de son domicile.
Le conseil de prud’hommes condamne l’employeur à lui payer cette indemnité, décision que l’employeur conteste devant la cour d’appel, en arguant que le salarié ne pouvait prétendre à une telle indemnité dès lors qu’un bureau était mis à sa disposition dans les locaux de l’entreprise.
Cet argument ne convainc pas la cour d’appel. Elle estime que le télétravail, mis en place sur recommandation du médecin du travail, était indispensable à la protection de la santé du salarié au travail. Par conséquent, les frais liés à ce mode de travail ne devaient pas être supportés par le salarié, mais par l’employeur. L’indemnité d’occupation de son domicile est donc due au salarié.
- La pause déjeuner peut être requalifiée en temps de travail effectif (Cass. soc., 7 février 2024, n°22-22.308)
Une salariée demande en justice la requalification de ses pauses déjeuner en temps de travail effectif car, durant ces périodes, elle devait accueillir les clients au téléphone et en personne.
La cour d’appel rejette ses demandes, arguant qu’elle ne fournissait pas suffisamment de preuves démontrant qu’elle avait effectué des heures supplémentaires. La salariée forme alors un pourvoi en cassation contre cette décision.
La Cour de cassation lui donne raison. Elle confirme que si, pendant sa pause déjeuner, la salariée ne cesse pas son activité et n’est pas en mesure de vaquer librement à ses occupations personnelles, ces périodes doivent être considérées comme du temps de travail effectif et rémunérées en conséquence.
- L’accident survenu au salarié déneigeant son véhicule garé sur la voie publique en partant travailler est un accident de trajet (Cass. civ. 2e, 29 février 2024, n°22-14.592)
Un salarié chute en déneigeant son véhicule garé sur la voie publique pour se rendre au travail. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) refuse de prendre en charge cet accident au titre d’un accident de trajet, ce que le salarié conteste en justice.
La cour d’appel accueille favorablement sa demande, décision confirmée par la Cour de cassation. Les juges relèvent que la chute a eu lieu en dehors du domicile de la victime, que l’heure de l’accident était compatible avec les précautions prises pour anticiper les difficultés de circulation, et que la victime n’avait pas interrompu ou détourné son trajet entre son domicile et son lieu de travail pour un motif personnel. En d’autres termes, au moment de l’accident, la victime avait quitté sa résidence et était sur le trajet pour se rendre à son travail, ce qui permet de qualifier l’accident d’accident de trajet.
- Le temps de déplacement au cours duquel le salarié reste joignable n’est pas nécessairement du temps de travail effectif (Cass. soc., 13 mars 2024, n°22-11.708)
Un salarié demande la requalification de ses temps de déplacement professionnel en temps de travail effectif, arguant que, durant ces déplacements, il reste joignable pour ses collaborateurs, tant à l’étranger que pendant ses trajets.
La cour d’appel abonde en son sens, estimant qu’il reste en permanence à la disposition de son employeur.
La Cour de cassation ne partage pas cet avis. Elle considère qu’il n’était pas établi que, pendant ses déplacements, le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. Le seul fait que le salarié reste joignable ne suffit donc pas à qualifier un temps de déplacement de temps de travail effectif.
- La croyance raisonnable du salarié doit être prise en compte pour apprécier la légitimité de l’exercice du droit de retrait (Cass. 2ème civ., 27 mars 2024, n°22-20.649)
Un steward exerce son droit de retrait avant un vol vers Israël, alors que le conflit armé entre Israël et Gaza a repris depuis quelques semaines. L’employeur juge cet exercice injustifié et procède à une retenue sur salaire.
Le salarié conteste cette mesure devant le juge des référés, qui ordonne à l’employeur de lui restituer la rémunération dont il a été privé. Le steward saisit ensuite le conseil de prud’hommes pour obtenir des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
La cour d’appel rejette sa demande, estimant qu’il ne pouvait se prévaloir d’un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, car une telle situation n’était pas caractérisée et que l’employeur avait pris des mesures de sécurité suffisantes.
La Cour de cassation censure ce raisonnement. Elle affirme que l’exercice du droit de retrait est justifié dès lors que le salarié a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Peu importe que le danger existe objectivement ou non et les mesures de sécurité prises par l’employeur. La cour d’appel aurait donc dû prendre en compte l’appréciation subjective du danger par le salarié, et non se limiter à une évaluation objective de la situation.
- Une activité physique au cours d’un arrêt de travail doit être autorisée par le médecin préalablement à cet arrêt (Cass. 2ème civ., 16 mai 2024, n°22-14.402)
La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) notifie à une assurée un indu au titre d’indemnités journalières perçues pendant un arrêt de travail, en raison de l’exercice d’une activité physique non autorisée. L’assurée forme un recours devant le pôle social du tribunal judiciaire.
Le tribunal judiciaire donne raison à l’assurée, affirmant que des attestations médicales établies après l’arrêt de travail justifiaient la pratique d’une activité physique à des fins thérapeutiques.
La CPAM forme alors un pourvoi en cassation, estimant que l’autorisation expresse et préalable d’exercer une activité ne saurait résulter d’une attestation établie a posteriori.
La Cour de cassation valide ce raisonnement. Elle rappelle que l’indemnisation journalière de sécurité sociale est subordonnée à l’obligation pour l’assuré de s’abstenir de toute activité non expressément et préalablement autorisée par le médecin prescripteur.
- L’accident du travail et la faute inexcusable peuvent être prouvés par un enregistrement obtenu de façon déloyale (Cass. 2ème civ., 6 juin 2024, n°22-14.402)
Un salarié affirme avoir été victime d’un accident du travail à la suite de violences verbales et physiques commises par le gérant de la société qui l’emploie. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) reconnaît cette qualification d’accident du travail, ce que l’employeur conteste en justice, arguant que les violences ne s’étaient pas déroulées sur le lieu et au temps de travail. Le salarié saisit quant à lui le pôle social du tribunal judiciaire pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, produisant comme preuve la retranscription d’un enregistrement sonore de l’altercation réalisé à l’insu du gérant.
La cour d’appel s’appuie sur cet enregistrement pour reconnaître l’accident du travail et la faute inexcusable de l’employeur.
L’employeur forme un pourvoi en cassation, estimant que l’enregistrement constituait un procédé déloyal rendant sa production en justice irrecevable.
Ce raisonnement ne convainc pas la Cour de cassation, qui donne raison à la cour d’appel d’avoir admis l’enregistrement comme preuve. Elle rappelle qu’un moyen de preuve obtenu ou produit de manière déloyale ou illicite n’est pas nécessairement écarté des débats. Il peut être admis s’il est indispensable à l’exercice du droit à la preuve d’une des parties et que l’atteinte à la vie privée de l’autre partie est proportionnée au but poursuivi, ce qui était le cas en l’espèce.
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